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"Anorexie-Boulimie, Les paradoxes de l'adolescence"

Dernière mise à jour : 19 févr. 2019


Je vous propose aujourd'hui une fiche de lecture sur ce livre de Philippe Jeammet.


Philippe Jeammet est professeur en pédopsychiatrie et chef du département de psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte à l'institut mutualiste Montsouris à Paris. C'est un psychanalyste français. Spécialiste de l'enfant et de l'adolescent, notamment des troubles du comportement, il a écrit de nombreux ouvrages sur ce sujet.

J'ai choisi le livre « Anorexie Boulimie » car cette maladie fascinante suscitait mon intérêt de par son côté provocant et paradoxal : pourquoi de jolies jeunes filles brillantes et issues de famille aimantes s'imposent-elles un tel calvaire ?

Ces troubles du comportement alimentaire (TCA) concernent entre 5 à 13% des adolescents, et 9 sur 10 sont des filles. Ils font partie des conduites à risque adolescentes qui constituent un processus d'attaque de soi et des autres, au même titre que les tentatives de suicide, la toxicomanie...

Cette maladie essentiellement psychologique à la base, a des conséquences somatiques graves, lesquelles jouent alors sur le psychique, ce qui renforce le trouble. Le livre explore les différents facteurs favorisant la progression de ces troubles, ainsi que les traitements possible face à ceux-ci.


L'anorexie et la boulimie, entre contrôle et compulsion


L'anorexie comme la boulimie apparaissent souvent durant l'enfance ou l'adolescence, et se focalisent sur la nourriture, avec deux manières opératoires différentes. Tandis que la personne boulimique est soumise à de violentes fringales où les quantités absorbées représentent plusieurs repas, la personne anorexique, elle, traque les graisses et trie la nourriture. Ce n'est pas une perte d'appétit qui opère mais bien une conduite active de restriction contre la faim. Il existe principalement deux types d'anorexie mentale: l'anorexie qui se restreint au maximum, et l'anorexie à tendance boulimique, qui mange normalement mais contrôle son poids par des méthodes dites purgatives. On note un parallélisme entre leur manière d'appréhender les relations aux autres et leur relation à la nourriture: la personne boulimique n'est pas avare de mots, elle parle beaucoup, se répète, sans nuance, comme si l'état de son corps n'exprimait pas assez sa détresse. Elle est avide de relation et attend de l'autre une guérison magique. La personne anorexique, elle, aime être seule et parle peu.


Malgré ces différences, ces deux maladies sont profondément semblables et imbriquées: la jeune femme anorexique a peur de devenir boulimique, tandis que celle boulimique rêve de devenir anorexique. Dans les deux cas, il est au début difficile de repérer les symptômes: les jeunes filles, souvent très intelligentes et censées, se veulent rassurantes et leurs parents les croient aisément. Pourtant, rapidement, elles perdent du poids grâce aux différentes mesures mises en places pouvant aller jusqu'à 50% de leur masse initiale. Ce qui apparaît comme très impressionnant est leur déni total et leur perception du corps complètement délirante. On peut observer une dualité psychique, un clivage entre les actes et les paroles qui agit comme un mécanisme de défense pour leur éviter une prise de conscience et donc un conflit conscient interne. C'est ce dédoublement de la personnalité, qui représente une constante chez ces patientes, qui rend d'autant plus difficile la reconnaissance de la maladie: les parents qui pensaient connaître leur enfant à la perfection (et plus ils étaient proches, plus il est difficile d'admettre cette part étrangère), avalent bien souvent mensonges et promesses d'amélioration.


Ces comportements sont-ils considérés comme des addictions ?


Nous parlons d'addiction quand un comportement qui procure plaisir et soulagement est répété et difficile à maitriser, en dépit de ses conséquences négatives. À la base utilisé comme synonyme de toxicomanie aux Etats-Unis, le mot addiction s'est étendu à l'alcoolisme.

Observant qu'il s'agit plus d'une relation particulière de l'homme à ses activités plutôt qu'à un produit spécifique, plusieurs cliniciens, dont le Professeur Jeammet ont voulu étendre la définition de l'addiction à d'autres conduites aux caractéristiques communes comme le tabagisme ou le jeu pathologique. La place de la boulimie dans ces conduites de dépendance a longtemps été discutée mais elle est considérée comme telle aujourd'hui de par son caractère impulsif. Quant à l'anorexie, dont la principale intéressée se targue de n'être dépendante de rien et dans un contrôle absolu, le débat est ouvert. Pour le professeur Jeammet, il est évident que la personne anorexique est dépendante de son propre comportement, indispensable à son équilibre psychique. Son comportement a un pouvoir d'autorenforcement impressionnant, grande caractéristique des conduites addictives: toujours maigrir davantage, faire plus de crises... Autres similarités: les TCA apparaissent à l'adolescence et constituent l'apaisement d'une tension pénible par la répétition d'un comportement nocif. Et, comme pour les autres dépendances, des séquelles psychologiques seront observés dans 50 à 75 % des cas une fois sevrés.


La relation addictive


La femme anorexique est souvent vue comme une manipulatrice, de par ses multiples facettes: ce n'est pas l'autre qui l'intéresse mais juste son regard sur elle et son existence: il faut qu'il soit assez proche pour qu'elle ne se sente pas perdue, mais en gardant une distance pour ne pas être envahie. Elle est en recherche de contact mais se sent rapidement menacée par l'autre et par le débordement de ses propres émotions. Cela complique ses relations avec le thérapeute avec qui les sessions peuvent se dérouler à la perfection jusqu'à ce qu'elle lui tourne le dos et stoppe tout traitement à la moindre réflexion non sentie. L'absence de lien (indépendance), tout comme l'existence de lien la menace (intrusion et soumission).

Face à une menace de son autonomie, elle va essayer d'inverser les rôles et tenter de mettre l'autre sous son emprise, de le contrôler : c'est la relation narcissique ultime, qui constitue une défense de son identité.

Pour combler le vide, une des techniques communes à toutes les addictions est de surinvestir le champ des sensations (liées à l'externe, au détriment des émotions liées à l'interne): une hyper-activité peut naître donnant lieu à de la fatigue et des douleurs par exemple. Toujours à la recherche de sensations fortes, la violence peut s'intensifier.

Chercher une relation de substitution au comportement addictif représente un aménagement pervers. C'est pourquoi, plutôt que d'essayer de contrôler un humain, elles pensent plus facile de contrôler un objet, duquel elles peuvent devenir dépendantes et tomber dans une nouvelle addiction.


Mais, qu'est-ce-qui provoque cette maladie ?


Les origines de cette maladie sont sujet à discussion dans le monde médical de par sa symptomatologie polymorphe : comportement alimentaire, dénutrition, dépression, angoisse... L'hypothèse la plus répandue serait une combinaison de différents facteurs génétiques et relationnels. S'il y a vulnérabilité, c'est bien à l'adolescence qu'elle s'exprimera, l'adolescent tentant de prendre de la distance aux parents et ne pouvant alors compter que sur ses ressources. Si on y ajoute une faible estime de soi, une hypersensibilité et une dépendance aux autres, le mécanisme de défense se mettra en marche et l'anorexie comme la boulimie pourront apparaitre comme deux solutions possibles pour reprendre le contrôle et faire face à la dépression. La transmission héréditaire est faible, il y a environ 10% de chance de plus de devenir anorexique s'il y a un apparenté qui a eu cette maladie.


Pourquoi les filles?


Les mutations pubertaires se jouent plus au niveau de l'apparence et du corps chez les femmes que chez les hommes, qui eux sont plus en recherche de virilité dans les actes. S'affirmer alors qu'on ressemble de plus en plus à sa mère apparaît comme difficile, et on peut observer que ceux sont les filles qui exercent le plus d'atteintes à leurs corps (tentatives de suicide, scarification, auto-mutilation). Les garçons, eux, sont les plus délinquants. Les hommes anorexiques ont bien souvent une part féminine marquée, ou un métier autour du corps comme la danse ou le mannequinat.


Rôle de l'enfance


Durant l'enfance, l'anxiété ressentie par l'enfant lors de la séparation à la mère peut être calmée par un objet de substitution (ou transitionnel comme dirait Winnicott), auquel il aura recours de manière plus ou moins obsessionnel. Il est important de freiner son utilisation en grandissant, afin que l'enfant puisse peu à peu canaliser sa frustration et trouver en lui les ressources nécessaires à l'apaisement, plutôt qu'être habitué à les trouver à l'extérieur (nourriture, drogue...). Peu à peu, il comptera sur ses ressources internes qui seront les bases de sécurité.

Chez l'anorexique, la peur de la dépendance fait foi, et s'abandonner équivaudrait à redevenir dépendante. Toute relation de proximité, de plaisir et de contact est rejetée par peur d'être engloutie par ses besoins ou ceux de l'autre. La valeur de l'autre à ses yeux la dévalorise. Il n'y a aucune preuve d'un lien avec un traumatisme sexuel. Tout événement ressenti comme traumatisant (déception amoureuse, échec scolaire, divorce) peut être déclencheur. Pour le Pr Jeammet, il n'est pas étonnant que l'alimentation puisse devenir un lieu privilégié de conflit: c'est le premier lien à l'extérieur avec la têtée ou le biberon. La fonction est surinvestie, et manger devient source de plaisir pour l'autre : « une cuillère pour maman ». L'enfant qui cherche à se construire et poser des limites à sa dépendance, passe d'ailleurs souvent par le biais de la nourriture. D'autre part, il est intéressant de savoir que l'anorexie du nourrisson existe, et que dans ses rares cas, le bébé ne présente pas l'angoisse habituelle du 8e mois (quand l'enfant différencie sa mère et que les sources étrangères deviennent alors sources d'inquiétude), ce qui prouve que le jeu psychique est déjà actif (il a trouvé son équilibre ailleurs).

Comme nous l'avons vu, beaucoup de facteurs entrent en jeu à la création d'un comportement du trouble alimentaire. Un parent très anxieux peut favoriser l'apparition de troubles : l'enfant sentira toujours une menace pesée sans savoir son origine : pour rassurer et faire plaisir, il choisira de réprimer ses pensées les plus noires (donc son ressenti), favorisant sa soumission aux attentes des autres. De plus, les parents anxieux auront tendance à valoriser les bons comportements, donnant à l'enfant l'impression qu'il peut toujours mieux faire.


Pourquoi les symptômes apparaissent-ils à l'adolescence?


À l'adolescence, l'Oedipe se rejoue, en même temps que la sexualisation du corps. Un père en admiration devant sa fille peut construire une atmosphère dite incestuelle, sans passage à l'acte. La rivalité face à la mère est insupportable d'où le besoin de garder un corps de petite fille. L'adolescente réalise l'emprise de ses parents sur elle et l'entrave qu'ils représentent à sa liberté. Cette problématique est une part du problème. Il y a un désir d'être comprise mais une crainte d'être privée de sa personnalité par sa compréhension même. Le processus normal d'identification passe par l'envie de se nourrir de ce qu'on admire chez les autres, se l'approprier et le développer. Or, ce processus n'est possible que si l'adolescent s'estime assez pour ne pas avoir honte de prendre ailleurs. L'adolescente étant en quête d'identité, tout trouble alimentaire ou autre, s'il dure, peut en constituer une. (et les aide à ne pas se perdre tout en se perdant). « Si je ne suis pas anorexique, alors qui suis- je ? ».

L'adolescence, moment de pleine croissance, est souvent associée à une augmentation de l'appétit, ce qui a des chances d'augmenter le grignotage et les prises de poids. Pour se protéger, des formations réactionnelles se mettent en place et transforment le désir en dégoût ; il n'est pas rare de voir apparaître des phobies de la viande rouge ou la peur de vomir par exemple.

De plus, l'adolescent par sa force d'opposition peut susciter une fascination par le négatif, qui le fait sentir puissant et lui confère du pouvoir. Les sensations nouvelles éprouvées modifient la relation de l'adolescente à ses sensations, le TCA régulant tension et angoisse. Ce comportement addictif est dangereux car difficilement effaçable, même une fois les troubles réglés. C'est comme si l'adolescente déléguait à l'extérieur (la nourriture ou ses parents) une partie des fonctions assurés normalement par son appareil psychique. Le parent accepte ses fonctions par peur de la séparation, et assure la survie comme celle d'un bébé.


Quand consulter?


Toujours en paradoxalité, le refus massif du traitement exprime bien souvent une forte attente, et c'est d'ailleurs dans les cas d'hospitalisation soit disant imposée que l'efficacité est la plus impressionnante.

C'est donc aux parents qu'incombe la prise de rendez-vous pour cette première consultation, et au plus vite. Cette consultation saura l'occasion de revaloriser la jeune fille et de mettre en place un projet d'avenir, rappelant que leur maladie n'est pas une fatalité. Ce projet devra être aussi compris par les parents, qui devront accepter l'existence d'un tiers entre eux et leur fille. Les études prouvent que ce n'est qu'en laissant la main à un tiers, et en donnant des limites au comportement que la situation pourra évoluer favorablement.


Le rôle des parents : alliés du traitement


Les parents vivent dans la souffrance et l'incompréhension, et veillent sur leur adolescent comme durant la petite enfance. L'adolescente veut recevoir la force manquante de la part de ses parents mais a besoin d'autonomie. La jeune femme anorexique vérifie sa capacité de contrôle sur son image et la boulimique anesthésie sa souffrance et sa rage. Abandonner ses conduites reviendrait à affronter leur propre image, négative.

L'inquiétude et la souffrance sont donc reléguées aux parents.

Il est important que les parents participent activement tout au long du traitement et ne cédent pas aux tentatives de culpabilisation de leurs filles. Les comportements observés illustrent en effet très bien l'ambiguité des adolescentes: alors qu'elles se sentent mieux et commencent à se sociabiliser, elles demandent encore à leurs parents de rentrer à la maison. C'est comme si elles vérifiaient une dernière fois que leurs parents soient prêts à la séparation eux aussi. Ne pas céder les autorisera à une autonomisation progressive.

Pendant l'hospitalisation, un travail des parents est nécessaire pour s'adapter à cette nouvelle fille au visage et au caractère différents, d'autant plus qu'il faudra être vigilants à l'apparition de nouveaux troubles une fois les TCA guéris. Aussi, cette période est un moment propice à la résurrection des vieux conflits enfouis, avec un adolescent révélateur d'un passé non digéré (enfant symptôme).

Le Pr Jeammet affectionne tout particulièrement les groupes de parole, où entourés d'un

psychologue et d'un médecin, les parents peuvent échanger, s'informer et s'entraider. Ils réalisent les similitudes de leurs situations, et les anciens donnent des conseils aux nouveaux plus simplement que les thérapeutes. Plusieurs thèmes y ressortent de manière récurrente:

- la fascination (ma fille n'a pas mangé depuis tant de temps!)

- la culpabilité. Y renoncer est particulièrement compliquée d'autant plus qu'elle leur permet de jouer un rôle important dans la vie de leur enfant).

- la colère (est-ce juste un caprice de petite fille gâtée?)

- l'humiliation dans leur rôle parental (plus les enfants sont malades, plus les parents s'isolent, ayant honte devant leurs amis)

- intrusion dans le psychisme de leur fille afin de tout rationnaliser

Derrière l'ambivalence à l'égard de leur fille, c'est leur ambivalence à propos de leur parent qui apparaît, remettant en cause les liens sur 3 générations et révélant la fragilité de l'édifice.

Faciliter la séparation est un point majeur, la séparation de pensée (qu'est ce qui relève de mon désir et de celui de ma fille) et la séparation physique.

Il nous donne ici l'exemple d'une jeune fille dont l'anorexie a commencé rapidement après le

divorce de ses parents... Au fil de la thérapie, la mère pris conscience du fait qu'elle a élevé sa fille dans l'extrême tendresse qu'elle aurait voulu recevoir enfant. La jeune fille, qui finit par guérir exprima sa culpabilité de laisser sa mère, si dévouée et si seule depuis la séparation.

Les groupes de parole auront donc nombreux objectifs liés au thème de la séparation:

- apprendre à parler en leur nom

- vivre pour eux mêmes

- nuancer leur idéal parental: conflit et autonomie ne veulent pas dire séparation

- montrer l'attachement que leur porte leur enfant

- veiller à ne pas inverser la tendance en passant de très proche à lointain

- valoriser le rôle des pères, les inciter à s'impliquer, à poser des limites et supporter le conflit avec leur fille.

Les parents ayant peur de la séparation avec leurs filles oscillent entre donner l'illusion qu'ils

feraient tout pour elles et montrer leur épuisement, leur donnant dans les deux cas la toute puissance. Pourtant, la vision qu'a l'adolescente de ses parents a son importance: si elle les voit fragilisés, elle risque de freiner son autonomisation... (renforçant le trouble angoissé des parents, qui à son tour ira renforcer le symptôme de la fille). Il est primordial qu'ils soient solides. À noter que bien souvent, plaintes et insatisfactions sont partagées avec la mère, tandis que le père a les moments positifs.

La clarification des problèmes familiaux conscients ou inconscients est primordiale pour la réussite du traitement et la suite. En prenant conscience de leurs propres sentiments, les parents s'ouvrent à la complexité des rapports humains, aux paradoxes des sentiments: la liberté n'est pas synonyme de destruction du lien. Tout lien trop serré peut devenir mena.ant, et le trouble du comportement est un moyen d'y échapper partiellement, tout en s'assurant sa permanence.

De plus, l'investissement des parents est très positif dans l'évolution de la maladie de leur enfant : les parents qui vont au groupe en couple ont plus de résultats que ceux qui y vont seuls, qui ont plus de résultats que ceux qui n'y vont pas.


Traitement des troubles


Le traitement se doit d'être pluri-disciplinaire, avec différents spécialites engagés (généraliste, diététicien, psychologue, thérapeute, psychiatre, gynécologue).. afin d'agir sur tous les terrains: les symptômes alimentaires, les conséquences de la dénutrition, le trouble psychologique et les interactions familiales autour de celui-ci.

Les conduites restrictives anorexiques représentent un moins grand défi que celles compulsives de boulimiques qui consomment autant de nourriture que de thérapeutes.

Entre fascination et impuissance, elles éveillent un désir de les aider mais leur obstination peut provoquer des rejets de l'entourage et des soignants, d'où l'importance de préparer les équipes.

Comme dans toutes addictions, il faut trouver un moyen de leur faire accepter ce qui leur manque et les menace... L'obligation de manger doit venir de l'extérieur, car l'adolescente ne veut pas se rendre complice de ses envies. Le traitement, tirant son autorité d'une prescription médicale, et non d'une prise de pouvoir, est plutôt bien accepté. Pour ce, un tiers est nécessaire pour dépassionnaliser le conflit: grâce à un cadre neutre, elles peuvent trouver le soutien dont elles dépendent, tout en conservant leur liberté. Leurs réussites leur sont alors attribuées, ce n'est pas le fruit du lien parental.

L'introduction de cet intermédiaire est presque imparable dans la mesure où il va falloir limiter l'action aliénante de la maladie sur la patiente et son entourage: penser que l'on va surmonter cela ensemble entre nous renforce l'interdépendance (et donc les symptômes).

Deux composantes sont donc à prendre en compte:

- son lien à la famille qu'elle provoque et sollicite

Il s'agit de tout processus de l'adolescence, qui s'individualise et s'identifie sexuellement.

Pour la fille, cela passe par l'identification de la mère chez qui on va chercher les qualités pour se les approprier. Ne pouvant intérioriser la mère, car trop dépendante d'elle, elle va rester dans un schéma mélangeant passivité et opposition qui fera monter l'agressivité à son égard.

L'identification ne pourra se faire qu'avec un abandon de cette relation de dépendance, en imaginant un autre type d'attachement aux parents. Ce moment inéluctable conduit à des épisodes dépressifs et aux derniers sursauts avant la guérison, où la fille suppliera ses parents de la faire sortir de l'hôpital et auxquels il faudra répondre avec fermeté pour la réussite du traitement.

- son mode psychique interne via une psychothérapie

Elle aura pour objectif de rendre les adolescentes moins dépendantes de leur entourage et de leurs attentes. Elle doit les aider à réussir à développer des liens sans crainte d'être débordées par leur besoins affectifs et de perdre du contrôle. La psychothérapie ne devra donc pas se limiter à la perception du corps et le trouble alimentaire.

Selon le Pr Jeammet, c'est vers une psychothérapie psychanalytique qu'il serait le plus intéressant de se tourner, afin qu'elle prenne en compte les motifs inconscients et la problématique d'identification.

Les anorexiques se mettant souvent en retrait, avec des difficultés à s'exprimer sur leur monde intérieur, la thérapie ne sera pas évidente. La remémoration des souvenirs infantiles devra être à manier avec précaution, vu que, comme nous l'avons compris, l'anorexique vit les liens affectifs comme dangereux. C'est ces liens qu'il faudra restaurer en lui faisant prendre conscience de ses besoins émotionnels petit à petit.

La proximité affective au thérapeute ravive le climat incestuel et peut entrainer un renforcement du comportement justement parce que la thérapie est efficace, qu'un lien se crée et qu'elle se sent perdre le contrôle. Alors que le professionnel est satisfait du travail effectué, la patiente, peut donc demander l'arrêt des sessions ou voir son état se dégrader.

C'est là l'intérêt de la thérapie bifocale, avec une prise en charge par le psychothérapeute doublé d'un généraliste qui surveillera l'état physique de la patiente, le tout dans une collaboration équilibrée. Un travaillera sur son psychique et sa compréhension, l'autre sur la reprise du poids, représentant bien le clivage interne de l'adolescente.

Le médecin sera le tiers neutre, plus scientifique, que la patiente écoutera plus volontiers. En

revanche, le thérapeute joue le r.le maternel, ou maternant, au pouvoir excessif. Toute attitude du thérapeute mal interprétée comme sa neutralité ou son silence pourront réveiller des blessures narcissiques.

Ils leur arrivent parfois de s'enrôler dans des thérapies de groupe, assez réflectives de leur peur du lien. Ne pas s'appuyer sur une personne en particulier les rassure, et cela peut aussi bien fonctionner avec un thérapeute qui apporte une technique active: une revalorisation est possible du fait qu'elle ne se sent pas dépendante d'une personne.

L'intervention d'un tiers rassurant dans le cadre d'une thérapie familiale permet de dédramatiser la situation. De plus, elle permet aux différents membres de la famille de prendre conscience de leurs propres difficultés internes (réveillées ou provoquées par la situation).

Prendre en compte la famille est primordiale, comme alliée thérapeutique, mais aussi pour évaluer les interactions éventuellement pathogènes. À cet effet, une thérapie familiale peut s'avérer efficace.

Comme nous l'avons compris, ces jeunes filles sont extrêmement sensibles au regard des autres, le soutien de leur famille est donc primordial. La fratrie peut être en souffrance aussi du fait de l'intérêt porté à cette soeur, mais aussi des évènements qui ont pu l'y conduire. S'ils se mettent en retrait pendant la maladie, cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas atteints, et il n'est pas rare que des symptômes apparaissent dans la fratrie une fois la guérison établie.

Ce travail d'échange et de réflexion demande une base solide de la famille.


L'hospitalisation est le dernier recours et il n'est préconisé que lorsque la patiente met sa vie en danger du fait d'une trop grande dénutrition ou d'une forte dépression nécessitant un soutien. Elle est beaucoup plus rare pour les boulimiques que pour les anorexiques.

Prescrire l'hospitalisation à une adolescente qui a justement un défaut d'autonomie et d'estime de soi, revient à aller à son encontre la plus totale et en même temps son besoin le plus profond, celui qu'on s'occupe d'elle et de se laisser aller au désir d'autrui: on lui présente comme une contrainte pour respecter son fonctionnement défensif. L'intransigeance du contrat médical les soulage: elle leur permet de protéger leur narcissisme tout en évitant les conflits de désirs internes, qu'elle pourra extérioriser avec la psychothérapie. (cela explique pourquoi des vacances relaxantes entre amis se révèlent peu efficaces: face à elle-même).

Des règles claires sont établies: une coupure au monde extérieur (chantages et autres appels devront être parlés avec le docteur), et un poids minimal exigé pour envisager une sortie. Ce contrat neutre, fixe et solide leur permettra de se sentir sécurisées et de se laisser aller . leurs désirs. Dans ce cadre, elle ne sera jamais forcée à manger, il est capital qu'elle en prenne elle-même la décision, sinon elle pourrait s'y sentir étrangère, voir innocente. En prenant du poids volontairement, elle va pouvoir s'impliquer personnellement et réfléchir . ses contradictions. Cet abandon des défenses l'obligera à se questionner sur son monde intérieur, l'amenant souvent à un état dépressif, et il faut profiter de ce soudain intérêt pour elle-même pour commencer une psychothérapie.

Malgré les attaques des premières semaines (test), si le contrat reste inchangé, c'est elles qui vont être dans l'obligation de changer. Et petit à petit, elles abandonnent leur conduite anorexique et s'investissent dans toutes les activités hors du champ médical, tandis qu'elle continue à rejeter traitement et soins dans un contraste frappant. Céder à leur demande aboutirait à une aggravation tandis que se maintenir dans un conflit ouvert améliore son état.

La durée de l'hospitalisation est très variable, pouvant aller de quelques semaines à plusieurs

années, et la reprise de poids trop rapide n'est pas forcément significatif d'un rétablissement durable, car le psychisme n'aura pas bougé et le déni et le clivage peuvent subsister... C'est pourquoi, au fil du temps, ils ont instauré deux étapes, une étape avec une reprise de poids qui permettra de renouer avec l'extérieur, et une deuxième avec un poids de sortie.


La sortie du trouble


Certaines disent avoir l'impression de sortir d'un cauchemar, et c'est bien de cela qu'il s'agit: on assiste à un véritable réveil, et on voit des transformations en terme de comportement: envie de partager, plaisir en compagnie des autres...

Des difficultés peuvent persister , troubles du caractère et de l'humeur, syndrome dépressif … et une vulnérabilité qui fait varier les humeurs à grande échelle. Il semblerait qu'un espace de méconnaissance doive être maintenu: une relation de plaisir conscient lui semble toujours aussi menaçante, et les nouvelles relations doivent s'établir sans que personne ait l'air d'y prendre garde, sans verbalisation par exemple, qui lui ferait prendre la fuite ou même la replongerait dans sa conduite anorexique. Dans un premier temps, il sera plus simple de créer des moments de partage, des activités où le plaisir a sa place, et qui permettront à la patiente de progresser par elle même, et non grâce à l'action d'une seule personne.


En conclusion


Le Pr Jeammet se pose la question du rôle de l'évolution de la société dans l'augmentation des TCA. Même s'ils sont souvent attribués aux effets de mode avec les mannequins filiformes, on comprend bien que l'envie d' être mince ne suffit pas.

Autrefois, les limites de l'extérieur évitaient l'apparition des comportements borderline (les états limites), aujourd'hui l'affaiblissement des interdits favorise l'apparition des vulnérabilités, souvent à l'adolescence qui a un rôle révélateur. Les jeunes peuvent imaginer un avenir différent de celui de leurs parents. Cette ouverture des possibles peut sembler effrayante surtout couplée à une contrainte de performance qui fait naître des inquiétudes narcissiques. Le "ce n'est pas que je n'en ai pas les moyens mais parce que c'est interdit" s'est transformé en "je peux faire ce que je veux, tant que je suis performant".

Au sein des familles aussi, on retrouve ce processus: l'évitement des conflits envers les enfants a fait naître une problématique autour du lien et de la position de chacun, les limites n'étant pas clairement affirmées, menaçant l'identité de l'adolescent. Le lien s'est renforcé, mais plus il est nécessaire, plus il peut être ressenti comme un pouvoir sur soi, une dépendance. Les plus vulnérables encourent le risque de s'enfermer dans un comportement d'évitement de la relation.

La question de la prévention se pose, au vu de l'échec des approches proposées jusque là (photos de mannequins filiformes interdites en Espagne, conférences d'anciennes anorexiques aux US). Ceux qui sont capables de se prendre en charge entendront le message préventif, mais pour les autres, les TCA peuvent apparaître plus attractifs que dissuasifs. Quand on se sent dépendant des autres, la survie psychique se met en marche, et ne voit comme solution que l'opposition, la différence, la prise de risque. Mettre le risque en avant, c'est le reconnaître comme moyen d'expression. Si on décide d'aller mal, on est sûr de réussir et donc, en maitrise total. (maitrise du risque de l'examen = je ne le passe pas). Pour ceux qui ont une pauvre image d'eux, la réussite apparaît comme impossible; ils ont alors l'impression de ne pouvoir exister que dans le négatif.

Les parents ont bien sûr un rôle à jouer : le cadre familial doit apporter une sécurité relationnelle et des échanges tout en favorisant une ouverture extérieure avec une marge de liberté. Ils doivent être vigilants aux signaux d'alerte : un enfermement dans un comportement répétitif avec effets négatifs doit interroger et donner place à un regard tiers.

Le psychisme est notre ressource pour affronter les risques de la vie ; au début assuré par les

parents, il incombe petit à petit à chacun de prendre sa mission de veilleur sur soi.


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En tant que parent, vous pouvez vous aussi ressentir le besoin d'être accompagné dans cette étape difficile. Des associations telles que 'Autrement' proposent des groupes de paroles, qui permettent aux parents de rompre avec l'isolement et de s'entraider.

Un accompagnement individuel est aussi possible : une conseillère conjugale saura vous écouter et vous soutenir.


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